Petit, je posais pleins de questions. Le fameux âge des "pourquoi?" Il parait qu'il a été très très développé chez moi. Mon père me dit des fois quand on en reparle que ça avait un coté amusant, parce qu'on voyait tout mon raisonnement se dérouler, parce que chaque réponse apportait inévitablement son lot de nouvelles questions, y compris parfois sur la réponse qu'on m'avait donnée. Ma sœur, qui a dix ans de plus trouvait ça un peu déstabilisant, parce que du coup, j'arrivais presque toujours à un moment où il n'y avait plus de réponse à me donner. Que ça pouvait lui donner l'impression d'être conne, avouons que face à un petit frère de dix ans de moins, ça peut faire bizarre.
Avec le temps, j'ai pu apprendre parfois à les taire, à les garder en moi, à rechercher la réponse tout seul. Avec le temps, j'ai appris à apprécier un "je ne sais pas" comme réponse. J'ai un peu réfléchi à ce que je répondrai le jour où des questions comme ça me seraient posées. Je trouve que le je ne sais pas, quand on ne sait pas, et il y a inévitablement des fois où on ne sait pas, reste quand même la meilleure réponse. Je me rappelle aussi de quelqu'un qui inévitablement à chaque question commençait par répondre "Chépa", et puis en général dans les deux trois secondes qui suivaient venait tout un tas de réponses, comme si le fait de ne pas savoir, de l'admettre, de le dire, libérait immédiatement les capacités de réflexion (si je ne me plante pas, elle lira ça). Je me rappelle c'est quelque chose que j'aimais beaucoup, d'aimer lire ces réflexions, d'aimer voir cette intelligence tourner, simplement, ces hypothèses se faire, ces réflexions se construire. Et en même temps, quelque part, une certaine humilité qui faisait que voilà, quand on savait pas on pouvait le dire, que ce n'était pas grave, que toutes ces questions, toutes ces réflexions, étaient une manière de se reconstruire, de dépasser un mal être, de trouver des solutions.
Je sais que parfois, un bah, je sais pas, j'avais envie, ou un non j'avais pas envie peuvent me paraitre être les meilleures réponses possibles. Comme dit un collègue, le meilleur moyen d'avoir toujours raison, c'est quand on ne sait pas, c'est dire qu'on ne sait pas.
J'aime bien les questions. Souvent, je trouve que la question en elle-même peut être beaucoup plus intéressante que la réponse. Une fois qu'on a la réponse, bon ben voilà, plus d'intérêt à la question. Faut trouver une autre question pour réfléchir. Quand on sait pas, ou qu'il n'y a pas une solution, on peut s'amuser à trouver tout plein de réponses différentes, même si on sait qu'au fond, ben il n'y a pas de vraie solution.
Parfois, j'ai l'impression que de ne pas se poser de question, que ne pas vouloir accepter que des fois on ne sait pas, que de ne pas essayer des fois de trouver quand même une réponse, ou que de se fixer une réponse comme étant la solution, alors qu'il y a d'autres possibilités, ça peut être se prendre soi-même pour un con.
En effet, je crois que se poser des questions, se remettre en cause, c'est aussi un moyen de s'ouvrir, d'augmenter sa tolérance aux choses, c'est accepter de pouvoir considérer une ou de nouvelles hypothèses, de se rendre compte qu'on peut voir une chose de plusieurs manières différentes, de s'ouvrir à de nouvelles interprétations. Celles-ci ne remettent pas forcément totalement en cause les premières, mais permettent je pense souvent de faire un certain tri, entre ce qui est lié à l'interprétation, et ce qui ne l'est pas, de se rendre compte, que selon la vision, l'interprétation que l'on choisira pour tel ou tel évènement, telle ou telle croyance, telle ou telle chose, on pourra la voir de pleins de manière différentes. C'est aussi, se rendre compte qu'à un moment l'interprétation que l'on fera de quelque chose, au delà de savoir si elle est bonne ou mauvaise, c'est tout simplement la notre, et qu'elle aura toujours au moins ce mérite là, que d'être la notre, que d'être sa propre interprétation, parfois "vraie", parfois "fausse", mais toujours la sienne. Je me rends compte, que ça peut aussi être quelque chose de relativement violent, en ce sens ça peut aussi être relativement enfermant, que ça peut amener à faire des choses que d'autres réprouveront, sans avoir de remord ou de culpabilité.
Ces temps-ci, je me rends compte de plus en plus, que trouver la bonne question, ça peut-être quelque chose de très déstabilisant. La question sur quelque chose auquel on n'avait pas réfléchi, la question qui dévoile un blanc dans la pensée, celle qui met en défaut une construction, celle qui vient remettre en cause une croyance bien ancrée, celles qui dévoilent le néant, celles qui détruisent les illusions, celles qui brisent les rêves, celles qui rappellent l'absence de sens de la vie, celles qui présentent une solution opposée, celles qui montrent les incohérences, celles qui montrent les absurdités, celles qui montrent les limites, celles qui refusent de tout prendre pour argent comptant, qui montrent une certaine défiance par rapport à ce qui peut être dit, par rapport aux autres, par rapport à des vérités qu'on voudrait nous asséner, nous faire croire, ou peut-être plutôt, parfois auxquelles les gens voudraient que l'on croit pour eux. D'ailleurs, une explication intéressante aux comportements fanatiques, est que justement à l'intérieur même des fanatiques, le doute subsiste, mais que ce doute n'étant pas accepté, ne correspondant pas à l'image qu'il se fait de la vie, à l'image de perfection que lui donne sa religion, sa croyance... Et donc de faire en sorte que l’extérieur soit une justification à sa croyance, parce que la moindre chose pouvant réveiller le doute devient insupportable.
Toujours tout remettre en question, ça a un coté épuisant aussi, ça demande d'être en permanence sur le qui-vive, c'est rarement accepter une explication telle qu'elle nous est donnée, c'est toujours réfléchir à ce qu'il peut y avoir derrière, cela traduit aussi en fait une forme d'insatisfaction, de malaise par rapport à ce que l'on va nous donner, une recherche de cohérence, un besoin de tri.
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